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Entre théorie et subversion: la critique littéraire féministe en tant que méta-discours | ||
| Revue des Études de la Langue Française | ||
| دوره 17، شماره 2 - شماره پیاپی 33، اسفند 2025، صفحه 1-16 اصل مقاله (541.38 K) | ||
| نوع مقاله: Original Article | ||
| شناسه دیجیتال (DOI): 10.22108/relf.2025.146444.1278 | ||
| نویسنده | ||
| Atiyeh Arabi* | ||
| Maître-assistante, département de français, University of Mazandaran, Babolsar, Iran | ||
| چکیده | ||
| Dans le monde de la recherche littéraire, la dénomination «critique littéraire féministe» recouvre aujourd’hui une pluralité d’approches et de méthodes diverses et distinctes qui interrogent les œuvres depuis un point de vue féministe. Cette hétérogénéité met en évidence la difficulté à cerner un champ critique qu’il semble malaisé de définir de manière univoque et elle appelle à une réflexion sur les enjeux théoriques et politiques propres à la critique féministe. Cet article propose d’envisager celle-ci à la lumière d’une perspective généalogique et méta-critique, non pas seulement comme un ensemble de pratiques analytiques, mais prioritairement comme un méta-discours: un discours réflexif qui dépasse la simple analyse des textes pour interroger ses propres fondements théoriques et ses implications politiques. La critique féministe se présente ainsi à la fois comme une mise en cause des structures patriarcales persistantes au sein du canon littéraire et comme une critique de la légitimité et de l’autorité des discours des critiques eux-mêmes. Ce double mouvement, critique et autoréflexif, confère à la démarche féministe une dimension subversive qui reconfigure les frontières entre théorie et pratique, institution et contestation. En mettant en lumière ce rôle métathéorique, l’article montre que la critique féministe transforme non seulement la lecture des textes, mais également notre conception du discours critique dans son ensemble. | ||
| کلیدواژهها | ||
| critique littéraire féministe؛ féminisme؛ métacritique؛ subvresion | ||
| اصل مقاله | ||
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Introduction Le féminisme, défini par Le Dictionnaire Robert comme «une doctrine qui préconise l’extension des droits, du rôle de la femme dans la société»[1] est aujourd’hui reconnu comme un mouvement à la fois politique, social, culturel et intellectuel qui remet en cause la domination historique des hommes sur les femmes. «Il aspire à l’autonomie des femmes, à la possibilité de quitter un statut de mineures et d’être reconnues comme des individus à part entière.» (Arabi, 2024, p. 104) L’histoire féministe contemporaine a tendance à structurer ce mouvement en plusieurs «vagues» successives, chacune marquée par des revendications particulières: de la lutte pour l’égalité des droits civils et juridiques jusqu’à la valorisation d’une voix et d’une expérience propres aux femmes, en passant par la contestation des rôles de genre considérés comme naturels. La rencontre du mouvement de libération des femmes et le champ littéraire engendre de nombreuses inspirations. Des liens forts se tissent entre l’étude littéraire et la pensée féministe. De cette rencontre naît un courant critique à part entière: «la critique littéraire féministe». «Dernière-née des disciplines théoriques» (Saint-Martin, 1997, p. 8), elle apparaît ainsi comme «l’énonciation de nouveaux critères de valeur et l’ouverture d’un nouveau champ d’appréciation» (Boisclair, 2004, p. 259) en posant essentiellement, «la question de la sexuation de toute écriture.» (Saint-Martin, 1997, p. 8). En fait, la critique littéraire féministe ne se consente pas d’une simple relecture des représentations féminines dans les textes, mais remet en question les outils, les normes et les fondements mêmes de la critique littéraire traditionnelle, tout en développant ses propres méthodes, catégories et priorités. En articulant théorie et subversion, cette critique interroge la neutralité des discours, le rôle du canon, la place des femmes dans l’histoire littéraire et la sexuation de l’écriture. Cela nous amène à poser la question suivante: comment la critique littéraire féministe, née dans une logique militante, est-elle progressivement devenue un méta-discours, capable de réfléchir sur les conditions mêmes de la lecture, les critères de légitimité littéraire et les systèmes de valeur qu’elle entend transformer? Cet article se propose alors de retracer les étapes de constitution de la critique littéraire féministe, depuis ses origines contestataires jusqu'à son affirmation théorique, tout en explorant les tensions internes qui la traversent. L’approche adoptée est généalogique et méta-critique : il s’agit d’interroger la critique elle-même comme un objet, à travers l’analyse de ses discours fondateurs, de ses catégories centrales et de ses effets sur la redéfinition des pratiques littéraires. La critique littéraire féministe devient un méta-discours, dans la mesure où elle ne se contente pas d’analyser des œuvres, mais interroge aussi les outils, les catégories et les présupposés de la critique elle-même. Comme l’écrit Antoine Compagnon,
Du féminisme politique à la critique littéraire féministe: Genèse et fondements de la critique littéraire féministe L’élan intellectuel et politique suscité par la deuxième vague du féminisme dans les années 1960–1970 a profondément transformé les paradigmes de la pensée occidentale, «en remettant en cause les rapports de pouvoir inscrits dans les institutions sociales, politiques, culturelles et symboliques». (Abbassi et Hashemi, 2025, p. 120) Dans ce contexte, les recherches féministes se sont multipliées, reposant communément sur la conviction que les structures sociales et culturelles ont, de manière systématique et universelle, opprimé les femmes - physiquement, économiquement et mentalement- et qu’il est désormais le moment de mettre fin à une telle oppression. Cette révolution intellectuelle et culturelle n’a pas laissé indemne le champ littéraire, ni la critique littéraire qui lui est associée. En d’autres termes, celle-ci, loin de se présenter comme une entité autonome, neutre ou désintéressée, a été remise en question dans ses présupposés idéologiques et méthodologiques. D’autant plus que de nombreuses initiatrices des démarches féministes sont déjà pour la plupart des écrivaines. Elles font publier des réflexions pour repenser la culture et en particulier la littérature d’un nouveau point de vue en plaçant la femme au centre d’investigation. Dès lors, une convergence significative s’opère entre recherches féministes et études littéraires: la femme devient le sujet principal de nombreuses études. Jusqu’alors, dans une tradition remontant au XIXe siècle (Cf. Planté, 2003, p. 7), on s’intéressait aux études sur «l’image de la femme» chez tel écrivain, dans telle époque ou telle école[2] mais on faisait fi des pratiques littéraires des femmes. Les femmes de lettres comme Chantal Chawaf, Hélène Cixous, Marguerite Duras, Françoise Collin, Monique Wittig ou Christiane Rochefort se lancent dans les efforts de théorisation dans le sillage des idées féministes, à partir du vécu féminin. En conséquence, la critique littéraire commence à insérer en son sein les outils conceptuels proposés par la théorie féministe, d’où de grandes transformations. Ainsi, la critique littéraire ou «l’analyse des pratiques [littéraires] va pouvoir se faire selon une méthodologie ramenant la figure de la femme à une place stratégique» (Zabunyan, 2007, p. 172) et les notions feront l’objet d’un questionnement renouvelé. D’ailleurs, «si la fonction critique est de reconnaître les œuvres littéraires, comme le rappelle son étymologie grecque (krino: je choisis, j’attribue une valeur), elle implique en retour une réflexion constante sur les critères de ses jugements.» (Roger, 1997, p. 7) En faisant allusion à l’origine grecque du mot «critique», Jérôme Roger remarque dans cette citation que dans la traduction grecque le sujet qui la pratique n’est pas supprimé : je choisis, j’attribue une valeur. Loin d’être objective, l’évaluation littéraire suppose un positionnement — or celui-ci, longtemps monopolisé par un regard masculin, est désormais investi par des femmes critiques qui revendiquent une transformation des valeurs. Dans le sillage du phénomène postmoderne, propice à l’instauration d’un cadre critique féministe, «l’arrivée en nombre important de femmes dans le champ littéraire va entraîner une transformation des critères de [cette] attribution de valeur.» (Boisclair, 2004, p. 252) Les femmes vont ainsi se consacrer à remplacer les valeurs en cours par des nouvelles valeurs dites féminines. Ce bouleversement de valeur encourage les femmes à développer une nouvelle critique littéraire dans le but de rendre compte de la qualité de la production littéraire des femmes. Pour pouvoir cerner ce dont se préoccupe la critique littéraire féministe, nous estimons qu’il semblerait essentiel de passer en revue son hypotexte conceptuel et ses racines avant d’aborder les différents aspects que recouvre cette critique.
Critique littéraire féministe: Réinventer les perspectives et redéfinir le champ Comme nous l’avons évoqué, les femmes cherchent à s’affranchir de la tutelle de critique littéraire masculine en essayant d’affirmer une autre voix et d’imposer leur propre point de vue aussi bien dans la création littéraire que dans la critique littéraire. Leur volonté de remettre en question les savoirs transmis par une culture masculine, leur ferme intention de revendiquer une autonomie évidente dans le champ littéraire et enfin leurs tentatives en vue de faire émarger une culture au féminin s’incarnent dans ce qu’on appelle «la critique littéraire féministe». Qu’elle se penche sur une œuvre isolée, une autrice, une thématique précise ou qu’elle adopte une démarche comparative, la critique féministe s’efforce, comme le souligne Lori Saint-Martin, de «élaborer des critères esthétiques qui ne reproduisent pas les biais d’une tradition critique façonnée par et pour les hommes» (Saint-Martin, 2020, p. 45), ouvrant ainsi un champ d’appréciation capable de reconnaître la diversité des expériences et des voix. On peut y distinguer deux grandes phases: une première, androcentrique, dominée par la dénonciation des normes patriarcales de la littérature qui privilégient le point de vue masculin et marginalisent les femmes aussi bien dans la création littéraire que dans la critique littéraire. La critique féministe étudie dans sa seconde phase les conditions spécifiques de production et de réception des textes de femmes, tout en s’intéressant spécifiquement à l’écriture féminine, comme objet d’étude à part entière. Nourrie de différentes approches déjà existantes, la critique féministe sera, dans sa deuxième phase, à la recherche d’une spécificité littéraire chez les femmes.
Dénonciation du patriarcat: Relecture des classiques à travers le prisme féminin L’une des premières tâches de la théorie féministe consiste à mettre en lumière «la non-neutralité des grands systèmes d’oppositions qui ont construit la culture» (Dupré, 1993, p. 466). Dans cette logique, la critique littéraire féministe «pose, essentiellement, la question de la sexuation de toute écriture.» (Saint-Martin, 1997, p. 8) Son premier geste est critique : contester la tradition. Toujours soucieuse de désapprouver l’image dégradée des femmes que présente le discours masculin traditionnel, elle cherche à dévoiler, dans sa première phase, coïncidant avec la période avant les années 1960, la misogynie des œuvres littéraires. Les critiques cherchent à analyser le fonctionnement de différentes formes d’oppression sexiste dans les œuvres littéraires. Cette analyse dénonciatrice aurait pour point de départ,
«Le patriarcat est le pouvoir des pères: un système socio-familial, idéologique, politique au sein duquel les hommes-par la force, la pression directe, au moyen du rituel, de la tradition, de la loi, de même que du langage, de coutumes, des convenances, de l’éducation et de la répartition du travail, définissent le rôle que les femmes devront ou ne devront pas jouer, et au sein duquel le féminin est partout subsumé par le masculin. […] Le pouvoir des pères a été difficile à saisir parce que tout en est imprégné, même le langage avec lequel nous essayons de le décrire.» (Rich, 1984, cité par Godi-Tkatchouk et Andriot-Saillant, 2010, p. 17)
C’est ainsi que la critique littéraire féministe se préoccupe largement du dévoilement des normes patriarcales au sein du champ littéraire à travers le nouveau regard qu’elles jettent sur les œuvres. Nombre de critiques se penchent sur la littérature traditionnelle pour y déceler la représentation de la femme. Cette phase trouve ses racines dans Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, notamment à travers l’étude des figures féminines chez Montherlant, Claudel et Breton. Du côté des américaines, cette phase trouve son incarnation dans les travaux critiques de Kate Millett, surtout dans son Sexual Politics, publié en 1970 où elle mène une analyse de l’histoire de l’évolution des idées masculines sur les femmes, à travers les œuvres de quatre romanciers des XIXe et XXe siècles(Cf. Millett, 1970). Ainsi, Simone de Beauvoir et Kate Millett, pour ne pas citer les autres, font des recherches systématiques pour condamner la représentation des femmes comme inférieure, marginale, victimes ou objets impuissants:
«L'ensemble de la littérature et de la culture traditionnelles tend à réduire la femme à l'état d'objet- idéalisé ou méprisé- et aux conditionnements de la soumission, de la souffrance et de l'humiliation.» (Lapointe, 1983,
Les œuvres classiques sont relues avec un regard de femme, vigilant à la représentation de la femme dans les textes. Selon Lori Saint Martin, cette lecture au féminin des œuvres d’hommes poursuit des tâches plus complexes que celle du «simple constat de la misogynie, facile à dresser»:
«Analyser la construction du féminin dans les textes d'hommes, ses attributs, ses pouvoirs, les tensions, ambivalences, fascinations, peurs conscientes ou inconscientes qu'inspirent ses manifestations ; bref, il s'agit d'examiner dans toute sa complexité, la mise en scène du Même et de l'Autre. On se trouve ainsi à la jonction des approches psychanalytique, socio-historique et textuelle.» (Saint-Martin, 1997, p. 21)
Ainsi, les critiques féministes articulent les outils de la psychanalyse, de la sociologie et de la narratologie pour produire une lecture intersectionnelle du discours littéraire. Certaines études portent par exemple sur les «dissymétries grammaticales, lexicales et sémantiques du masculin/féminin ou sur le genre grammatical et les métaphores sexuelles qui le sous-tendent» (Savona, 1988, p. 125). Les Mots et les femmes, le livre de Marina Yaguello, paru en 1987, présente un résumé des recherches francophones dans ce domaine. D’ailleurs, persuadée de la nécessité de démythification du masculin dans la sphère littéraire, la critique féministe se préoccupe également de la redéfinition du canon littéraire, déjà dominé par les hommes. Dès lors, nombre d’études se consacrent à la tradition littéraire des femmes, aux voix des femmes oubliées dans l’histoire; ce qui engendre l’exhumation d’un nombre important des créatrices ignorées par l’histoire littéraire. «Le courant ‘image de la femme dans la littérature masculine’ est relativement délaissé, au profit d'une recherche historique visant à redécouvrir et à réhabiliter de nombreuses écrivaines du passé» (Saint-Martin, 1997, p. 19). En outre, en dépouillant la tradition littéraire des femmes, la critique souhaiterait révéler de même comment les femmes sont marginalisées dans la littérature et la critique littéraire. Ce travail de dénonciation des représentations dégradantes et de redécouverte des autrices oubliées ne s’arrête pas à une simple relecture du corpus littéraire. Il appelle, de manière plus profonde, une remise en cause des outils mêmes de la critique littéraire traditionnelle, soupçonnée d’androcentrisme méthodologique. C’est dans cette perspective que la critique féministe élabore ses propres fondements théoriques, en contestant la prétendue neutralité des approches dominantes. Pour les praticiens de cette critique, celle-ci ne semble pas assez neutre. Ne sont pas rares des praticiens de la critique littéraire qui ont reproché aux approches existantes leur caractère partial, du fait qu’elles ne rendent pas compte du féminin. Dans cette perspective, «même les pensées critiques, comme le marxisme ou le structuralisme, bien qu'elles aient contribué à la dénaturalisation de la domination masculine, continuent souvent d’ignorer les rapports de genre, ou les subsument sous d’autres formes d’oppression.» (Cervulle et Clair, 2017, p. 4) Or, même les systèmes théoriques les plus universalistes, comme le marxisme, le structuralisme ou la psychanalyse, s’avèrent traversés par une dynamique sexuée latente: le marxisme par son centrage sur la lutte des classes, tend à négliger les rapports de genre, le structuralisme par son rejet de saisir la provenance du texte, passe sous silence la subjectivité sexuée de l’écriture, la psychanalyse freudienne par sa notion de «manque» qui caractérise la femme, etc. Toujours dans le même sillage, plusieurs critiques féministes ont également mis en lumière l’exclusion des femmes même dans le processus de consécration littéraire (Cf. Saint-Martin, 1992, pp. 139-153). En plus, la critique dominante tend à généraliser les productions littéraires des femmes en leur attribuant un caractère intimiste, dépolitisée, privée de portée sociale ou historique. Pourtant, la frontière entre le privé et le public, entre le personnel et le politique, est au cœur même des préoccupations féministes. Aussi faut-il remarquer que la critique littéraire a longtemps établi des découpages historiques -écoles, périodes, courants- sans véritablement prendre en considération les contributions féminines. La critique féministe aspire à renouveler les approches critiques dans la mesure où, contrairement aux modèles traditionnels, elle aspire à tenir compte de textes des femmes, à se baser sur des postulats différents. Elle rejette les critères androcentriques et remet en cause
«Si les écritures des femmes s'insurgent, si elles témoignent de leur exploitation, si elles formulent d'autres valeurs que celles établies par les hommes, comment la critique officielle - il faut entendre évidemment celle orchestrée par les hommes, comme le reste de nos institutions sociales et politiques - comment une telle critique pourrait-elle rendre compte, en toute objectivité, du travail littéraire ou autre des femmes, sans se remettre profondément en question, voire même se saborder?» (Cotnoir, 1980, pp. 10-11)
Affirmation de la différence féminine: La critique gynocentrique et ses fondements Grâce à la redécouverte et à la réinterprétation des textes de femmes d’hier et d’aujourd’hui, la critique littéraire féministe cherche, dans sa deuxième phase, à examiner de près une spécificité éventuelle d'une écriture au féminin. Dans un premier temps, la critique littéraire féministe s’impose comme une entreprise visant à dénoncer les stéréotypes sexistes et l’infériorisation des personnages féminins dans les textes littéraires. Dès la fin des années 1960, avec des figures comme Simone de Beauvoir et Kate Millett, cette critique évolue dans le sens d’une lecture qui vise à valoriser les écritures féminines — on parle alors de phase gynocentrique. (Boisclair et Saint-Martin, 2007, p. 11) Ainsi chargée d’affirmer une perception de l’art propre aux femmes, la critique féministe n’apparaît plus spécifiquement comme rassemblements dont l’objectif est de lutter contre l’inégalité des sexes: elle essaie d’affirmer et de représenter la «différence féminine»; différence de sexualité, de perception du corps et d’expérience du langage. Les différentes méthodes utilisées seront ainsi soumises à un engagement non pas strictement féministe mais féminin soit un engagement envers le sujet femme. Les études gynocentriques procèdent de la sorte à une prise en compte originale de la dimension de «différence» sexuelle/ou du genre dans le champ littéraire. Cette phase, nourrie d’influences multiples- psychanalyse, phénoménologie, linguistique, philosophie-, est traversée par une idée centrale: la différence sexuelle n’est pas seulement une donnée biologique ou sociale, mais une forme de rapport au monde, au langage, au corps et au désir. C’est ce que Luce Irigaray exprime ainsi dans Éthique de la différence sexuelle (1984): « La différence sexuelle est la question philosophique la plus abyssale, la plus enfouie, la plus repliée sur elle-même. […] Elle est un ordre symbolique, une forme d’appartenance au monde, au langage, à l’autre. » (Irigaray, 1984, p. 13) Plusieurs penseuses majeures incarnent cette orientation: Hélène Cixous, qui développe la notion d’« écriture féminine » fondée sur l’inscription du corps dans le texte; Luce Irigaray, avec sa théorie du «parler-femme» et sa critique du langage phallocentrique; Elaine Showalter, qui propose une méthode dite «gynocritique», centrée sur les textes produits par les femmes en dehors du cadre masculin. Certes, l’influence de Simone de Beauvoir est indéniable mais aussi celle des psychanalystes et littéraires, comme Hélène Cixous, Catherine Clément, Béatrice Didier, Irma Garcia, Luce Irigaray et Julia Kristeva. D’ailleurs il ne faut pas oublier l’apport des théoriciennes américaines ou plutôt celles qui se placent au croisement des cultures française et américaine de critique littéraire au féminin: Elaine Showalter, Adrienne Rich, Mary Daly, etc. Le pivot des recherches gynocentriques, la notion de «différence», est d’une importance primordiale dans les études féministes dans la mesure où elle s’inscrit dans le contexte plus large du débat entre les «différencialistes» et les «égalitaristes»: une fois la domination masculine dénoncée, les féministes adoptent deux approches divergentes pour revendiquer la place de la femme dans la société. Les différentialistes plutôt littéraires, linguistes ou psychanalystes analysent «la société patriarcale comme un déni des différences de sexe au profit de la seule masculinité, déni qu’il conviendrait de démystifier pour faire apparaître dans toute leur splendeur les spécificités propres à chaque sexe et montrer l’équivalence de leurs valeurs respectives» (Dhavernas-Levy, 1995, p. 382) alors que pour les égalitaristes, plutôt proches des sciences humaines et sociales, les différences n’ont d’importance qu’ «à titre de base pour la pratique et la justification de la domination masculine.» (Dhavernas-Levy, 1995, p. 382) A la recherche des spécificités féminines dans la production littéraire des femmes, les critiques, célébrant la différence des sexes, se donnent à des tentatives de théorisations. Les féministes françaises, Luce Irigaray, Hélène Cixous et Julia Kristeva qui défendent un féminisme de la différence, représentent un essentialisme qui valorise la féminité et la spécificité de la femme. A travers les théories du groupe Psychanalyse et Politique dont les trois théoriciennes faisaient partie et à l’encontre de l’égalitarisme proposé par Simone de Beauvoir, pour qui la quête d’égalité a une prédominance, les partisans de la théorie de la différence (essentialisme) soutiennent l’essence de la féminité. En d’autres termes, à rebours de la position existentialiste de Simone de Beauvoir, qui affirme que «l’on ne naît pas femme, on le devient», ces autrices proposent une revalorisation de la féminité comme territoire symbolique à part entière. Alors que dans les milieux féministes, on ne parle plus d’oppression commune des femmes mais de leur «différence» commune, des divergences parsèment le champ de critique féministe quant à la précision de cette «différence». Il y a celles qui mettent le point d’ancrage sur les conditionnements sociaux et la matérialité des faits sociaux (les matérialistes) tandis que d’autres insistent sur les différences innées. Que la différence provienne du social ou du biologique, une réflexion préside au champ de la critique littéraire féministe; «une réflexion relative à l’existence d’un territoire, d’un savoir, d’une éthique et d’un pouvoir féminins» (Descarries-Belanger et Roy, 1988, p. 13). Les études gynocentriques cherchent ainsi «la reconnaissance de la différence, de la féminité comme territoire spécifique, la réappropriation de l’acte de création, de la culture et de l’imaginaire féminins au niveau des idées et de l’Etre.» (Descarries-Belanger et Roy, 1988, p. 13)
De l’ambiguïté des termes à la critique métisse À l’issue de ce parcours théorique, il devient clair que la critique littéraire féministe est une entreprise à plusieurs visages:
«Dans un premier temps, ébranler l'ordre des certitudes et des évidences en interrogeant les rapports que les signes entretiennent avec le réel et en considérant que le réel inclut désormais le féminin. Dans un second, instaurer une tradition critique qui mette fin à l'exclusion des femmes de l'institution littéraire, qu'il s'agisse d'exclusion extérieure – établissement de jurys, corpus, archives, anthologies, études et répertoires destinés à promouvoir les œuvres et les auteur(es) - ou d'exclusion intérieure, la femme s'interdisant encore sa propre parole et sa propre place dans l’univers symbolique.» (Ouellette-Michalska, 1987, p. 48)
Cette critique prend des noms différents selon les contextes. Les chercheuses françaises l’appellent «critique féminine» tandis que leurs collègues américaines préfèrent l’appellation de «critique féministe» et les québécoises «critique-femme». Malgré la similitude des principes, ces nuances pourraient dévoiler quelques différences «dans l’attitude, l’engagement politique, voire l’approche méthodologiques à la base des études» (Dupré, 1996, p. 152): une approche focalisée sur la psychanalyse en France et sur la sociologie aux États-Unis alors qu’au Québec où la critique-femme est en plein essor, la priorité est toujours donnée au «genre». A noter d’ailleurs qu’il y aurait toujours la possibilité d’écarter certaines tendances, ou au contraire, de les combiner. En réalité, difficile de trancher qu’une seule critique pourrait être la plus déterminante, générale, complète dans ce domaine. En ce sens, la nécessité d’un mélange pour souligner les points forts de chaque critique se montrerait impérative et ainsi nous partageons l’affirmation de Louise Dupré pour souligner avec elle, qu’il serait mieux de «penser une critique métisse qui tienne de l’un et de l’autre courants. Une critique originale, créative.» (Dupré, 1996, p. 152) Au fil du temps, le rapport entre critique littéraire et féminisme a évolué. Au cours des années, le discours critique féministe s’est transformé. Cela revient à dire qu’il se préoccupe de plus en plus de l’esthétique au détriment de la question du féminisme comme idéologie. Ainsi le terme féminisme ne semble pas assez convenable pour désigner la critique et la production littéraire féminine d’aujourd’hui. Sans renier le féminisme, la critique au féminin essaie cependant de s’en distancier. Certes, y «reviennent souvent par le biais de l’anecdotique, des questions et des préoccupations associées au féminisme: au sens très large, la place des femmes dans la culture, dans la société, dans la langue» (Saint-Martin, 1994, p. 166), mais la grande prédilection est donnée aujourd’hui aux questions esthétiques. Si le début du parcours des études féministes est marqué par une grande vision militante, depuis des années 1980, la critique au féminin trouve une attitude plus objective, grâce à l’intégration des recherches basées sur des approches critiques. A dire vrai, même si l’expression de critique au féminin n’est pas synonyme de critique féministe, elle est d’usage répandu de nos jours pour désigner cette transmutation de la critique littéraire provenant de la pensée féministe. D’autre part, il sied de souligner la confusion que peuvent entraîner les étiquettes au féminin, féministe et féminine tant que leurs limites ne sont pas étanches. Ces expressions, souvent interchangeables dans les textes théoriques, ne sont pas synonymes, mais leurs limites sont poreuses. Ainsi bien que certaines définitions tentent de les distinguer, ces distinctions semblent encore nuancées et lourdes hors du contexte dans lequel elles ont été formulées. Une tentative de clarification peut s’appuyer sur ces distinctions:
«[...] l'expression au féminin [...] viendra souligner que le travail de la langue a été sous-tendu, chez les auteures, par l'investigation d'une langue-femme, investigation portée par une attitude féministe.» «Les écritures féminines [...] montrent les traces d'une féminité dans la textualité, sans qu'il y ait volonté d'une recherche sur le féminin ni aucune perspective féministe.» «Il y a aussi les écritures féministes, celles, qui inscrivent un «discours manifestaire», une parole qui se donne pour but de transformer l'Institution en y intégrant des valeurs féministes.» (Dupré, 1989, p. 24)
Ainsi, la «critique féminise» inscrit ses analyses dans une posture idéologique explicite, visant la transformation des structures. La «critique féminine» s’intéresse à une certaine textualité marquée par la féminité, sans posture politique affirmée et la «critique au féminin» décrit une démarche critique inspirée par la pensée féministe, mais centrée sur les formes esthétiques et stylistiques. Quoi qu’il en soit, il semble parfois impossible de tracer une ligne de démarcation entre ces trois expressions, vu les différentes définitions cherchant à les encadrer. Donc, ces catégories ne sont ni fixes ni exclusives. En plus, il n’y a pas d’unanimité chez les critiques sur ce que représentent ces appellations. Ce qui est certain concernant la critique littéraire féministe, c’est que ses préoccupations débordent le cadre du féminisme. Les études littéraires témoignent d’un glissement progressif vers une critique hybride, où cohabitent analyse du genre, lecture sensible au style, et conscience historique.
Retour du sujet et du réel: La critique féministe face à la question du référent La littérature s’inscrit dans un contexte social, politique et culturel et ne peut pas être lu comme une production complètement autonome (certes, cela déplaît aux structuralistes): «Le roman est comme une toile d’araignée attachée très légèrement peut-être, mais enfin attachée à la vie par ses quatre coins.» (Woolf, 1977, p. 64) La montée en puissance de la pensée structuraliste a rendu désuète, par son évacuation du sujet, toute possibilité d’analyse d’une expression personnelle. La critique littéraire au féminin, issue du contexte poststructuraliste, très fortement influencée par la lecture psychanalytique, apparaît comme un appel au retour du sujet. En réintroduisant le sujet dans la diégèse qui aura pour conséquence le retour du référent, les femmes lancent un défi à la disjonction entre le texte et le sujet ou pour dire autrement entre le structuralisme et le subjectivisme, puisqu’elles parlent de leur expérience personnelle:
«Le fond appelant la spécificité de la forme, ce sont les femmes qui reviendront d'abord à la sexuation du discours, après avoir travaillé à débusquer le sujet (masculin) du langage et du logos et après en avoir éprouvé l'effet de déréalisation.» (Boisclair, 2004, p. 261)
Pour la critique au féminin, «comme chez Foucault, Blanchot et Barthes, le point de départ de toute lecture et de tout critique deviendra la question Qui parle?» (Simon, 1987, p. 52) Cet intérêt pour le référent et cette prise de conscience du sujet proviennent peut-être de l’expérience d’exclusion du discours que les femmes ont subie. Les femmes procèdent ainsi au cœur de leurs textes critiques à l’émergence d’un sujet féminin, dont elles ont éprouvé l’effacement. Il en va de même pour leurs textes de fiction. Ce processus est fondé sur la conscience qu’«il s’agissait, et c’est toujours le cas plus d’un demi-siècle plus tard, de prendre la parole, de dire le monde et de se nommer» (Abbou, 2019, p. 5), dans et par un langage qui, longtemps, leur refuse visibilité et reconnaissance. Alors que la critique littéraire traditionnelle - souvent «dominée par des repères masculins [qui] tend à naturaliser la neutralité du regard - celle du sujet critique lui-même, conditionné par des normes androcentriques et à invisibiliser les subjectivités situées, notamment féminines, pourtant porteuses d’enjeux de sens renouvelés» (Nies-Berger, 2024), se présente comme neutre et universelle, la prise en compte de la subjectivité féminine apparaît aujourd’hui particulièrement féconde pour ouvrir de nouvelles pistes de recherche. Une fois le sujet féminin établi, nombre de chercheur(e)s combinent leur spécialité (sociologie, histoire, sémiotique, etc.) avec la critique au féminin, après s’être appuyé(e)s sur les théories de l’énonciation. La propagation des théories de l’énonciation sur le plan littéraire rend possible une réhabilitation de la notion d’auteur (Dupré, 1996, p. 146). La critique-femme procure ainsi la possibilité de remettre en question l’effacement du sujet, la mort d’auteur en insistant sur le lien étroit entre le sujet et son énoncé, en disant que «le sujet n’est pas neutre» (Dupré, 1996, p. 146):
«Le sujet est soumis aux contingences de l’Histoire, la grande, comme de sa petite histoire. Et la différence sexuelle reste un des pivots-le plus important sans doute- autour desquels se forme la subjectivité. La femme entretient un rapport différent au symbolique, au langage. […] La différence sexuelle conditionne une différence de destin, en ce qu’elle n’est pas uniquement une différence anatomique, parce qu’elle se trouve accueillie dans ce qu’on appelle l’ordre symbolique.» (Fouque, 1995, p, 75)
La critique au féminin se caractérise également par une tentative d'éclairer les rapports entre l'écriture au féminin et la «réalité» des femmes. D’où vient «un certain pragmatisme» (Saint-Martin, 1997, p. 18) de la critique littéraire au féminin. En d’autres termes, essayer de faire une réconciliation entre l’expérience vécue et l’expérience textuelle constitue l’une des contributions de la critique au féminin. Pour les critiques féministes, contrairement aux structuralistes, le texte n’existe pas dans le vide. La critique-femme préconise ainsi une lecture intégrée, «alliée à un refus de séparer la vie, l’écriture et la théorie» (Boisclair, 2004, p. 266). Dans ce sens, elle partage l’idée de Todorov quant à la véritable portée de la critique: «la critique ne doit, ne peut même se limiter à parler des livres; à son tour, elle se prononce toujours sur la vie [...], elle est aussi quête de vérité et de valeurs.» (Todorov, 1984, cité par Roger, 1997, p. 97) Par conséquence, les études gynocentriques, charpentées sur la notion de différence, abordent la question de différence sous l’angle culturel, historique ou social. Elles croient que les écrits féminins reflètent une situation historique et sociale des femmes dans le monde, un monde envisagé comme ayant toujours appartenu aux hommes. Ainsi, «la lecture féministe engage une revalorisation des subjectivités féminines et des expériences spécifiques qui ont été systématiquement ignorées par la critique traditionnelle» (Milliand, 2021, p. 89). Cette réaffirmation du sujet féminin dans l’acte de lecture prépare le terrain pour une réflexion plus large sur la critique elle-même, pensée comme méta-discours.
De la critique à la méta-critique: vers une réflexivité du discours critique féministe La critique littéraire féministe, dans ses premières phases, a tenté de corriger une invisibilisation historique des femmes dans la littérature. Mais elle ne s’est pas arrêtée là: elle évolue graduellement vers une posture plus réflexive, devenant elle-même objet de questionnement. En effet, elle n’a pas seulement remis en question les objets et les corpus de la littérature traditionnelle: elle a aussi peu à peu pris conscience de ses propres présupposés et a engagé un processus réflexif sur ses méthodes, ses finalités et ses effets. Ainsi assiste-t-on à une forme de méta-critique : c’est-à-dire une critique qui pense aussi le geste de critiquer. Ce basculement vers une posture méta-critique témoigne de la maturité d’un courant théorique qui, après une phase militante et dénonciatrice, interroge désormais ses propres fondements épistémologiques. Cette attitude repose sur une idée simple mais puissante: il n’existe pas de lecture neutre. Toute analyse est faite depuis un lieu social, historique, sexué. Comme l'affirme Donna Haraway, «toute connaissance est située» (Haraway, 1988, p. 581), rejetant ainsi l’idée d’une objectivité surplombante, universelle. De nombreuses chercheuses mettent en évidence que toute lecture est située, sexuée, historicisée. Ce postulat conduit vers une relecture critique des théories littéraires elles-mêmes. Comme le souligne Diane Lamoureux, «le féminisme ne propose pas un modèle théorique unique, mais plutôt une remise en question permanente de l’épistémologie dominante, en revendiquant un savoir situé» (Lamoureux, 1997, p. 15). Ainsi, la critique féministe devient auto-réflexive, questionnant les rapports entre pouvoir, savoir et positionnement du sujet critique. Plus encore, une telle réflexion critique sur la critique féministe ouvre la voie à une hybridation des savoirs, au croisement des disciplines, des approches et des traditions. Gill Plain et Susan Sellers notent que «la critique féministe contemporaine s’est complexifiée au point d’intégrer l’intersectionnalité, les études culturelles, la philosophie politique ou la théorie postcoloniale» (Plain et Sellers, 2007, p. 3). Elle se manifeste donc moins comme une méthodologie figée qu’en tant qu’un processus d’élaboration critique perpétuel, un lieu où l’on pourrait contester l’autorité de telle ou telle théorie. Par ailleurs, certaines chercheuses proposent d’envisager la critique littéraire féministe comme un geste politique en soi. Pour Catherine Clément, la critique féministe devient un lieu de réappropriation du langage et de la pensée : «écrire, lire, critiquer au féminin, c’est faire acte de subversion théorique, c’est déployer une résistance au logos phallocentré» (Clément, 1990, p. 148). Ce discours sur le discours présenté comme féministe pourrait aussi bien s’entendre comme une tactique pour prendre place dans le champ du savoir: il réclamerait la pluralité des expériences, des corps, des voix, des esthétiques. Enfin, cette critique réflexive ne peut manquer d’avoir une certaine portée de performativité: elle ne se contente pas d’analyser le discours littéraire mais elle le modifie. Elle produit des savoirs transgressifs, minoritaires, situés, qui ont une portée épistémologique et politique. En cela, elle rejoint la définition de la critique telle que l’a formulée Foucault (1990, p. 50), non comme un simple commentaire, mais comme un acte de savoir indissociable d’un acte de pouvoir. La critique féministe, comme méta-discours, dévoile alors sa double vocation: analyser le monde et le transformer.
Conclusion Depuis plusieurs décennies, la critique littéraire féministe s’est imposée comme un courant théorique incontournable dans le champ des études littéraires. Née de la rencontre entre les mouvements féministes et la recherche universitaire, elle n’a cessé d’interroger les mécanismes d’invisibilisation, de marginalisation ou de stéréotypisation des femmes dans la littérature et dans ses appareils critiques. Au terme de cette étude, il apparaît clairement qu’elle dépasse largement le statut de champ d’analyse focalisé sur la représentation des femmes dans la littérature. Elle s’affirme aujourd’hui comme un projet critique à part entière, capable de s’autonomiser en tant que discours critique. L’histoire de son développement constitue un parcours dialectique: du moment de dénonciation des biais sexistes et des exclusions, à celui de réappropriation de l’histoire littéraire des femmes, et jusqu’à la phase méta-critique où l’on interroge non seulement les textes, qui sont mis au centre de l’attention, mais aussi les méthodes et les postulats de la critique littéraire elle-même. En ce sens, la critique littéraire féministe s’inscrit dans un double geste de rupture et de réappropriation. D’une part, elle conteste la prétendue neutralité des approches critiques dominantes; d’autre part, elle cherche à articuler une réflexion sur la littérature avec un projet de transformation des structures de pensée et des rapports de pouvoir qui les sous-tendent. Elle réinvestit ainsi les outils conceptuels hérités du structuralisme et de la psychanalyse pour leur donner une orientation nouvelle. Développée dans un contexte poststructuraliste où la figure de l’auteur semblait marginalisée et où le texte était souvent perçu pour un système clos, la critique littéraire féministe a revendiqué le droit de recourir à l’expérience vécue et à la matérialité du corps dans l’analyse des œuvres, sans pour autant céder au biographisme naïf. Ce projet critique se distingue également par son ouverture interdisciplinaire. L’intégration des apports de la psychanalyse, de la sociologie, des études postcoloniales, de la théorie queer ou encore de l’épistémologie féministe, témoigne de sa capacité à se renouveler et à accueillir en son sein des problématiques liées aux tensions de race, de classe, de sexualité ou aux migrations; d’où un espace théorique transfrontalier. Elle ne se limite pas à une relecture: elle refonde. Elle s’approprie de nouvelles grilles de lecture, de nouveaux récits et de nouvelles hiérarchies, tout en conservant un lien critique avec ses propres présupposés. Cette réflexivité permanente lui permet de s’éloigner du dogmatisme et de demeurer une force intellectuelle vivante. Pour l’heure, nul ne sait encore comment la critique littéraire féministe parviendra à se renouveler sans perdre son pouvoir subversif. Dans un espace intellectuel déjà largement hybride, nourri de visions et de voix multiples, elle apparaît vouée à devenir un espace de dialogue et de perméabilité, apte à faire émerger des formes inédites de lecture et de critique. | ||
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